Après le décès d’une adolescente, la famille souhaite que les procédures de divulgation soient respectées

30 octobre 2013 

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Neuf mois avant le décès de Jessica Barnett, à l’âge de 17 ans, son neurologue a minimisé ses épisodes de perte de connaissance et de convulsions, les qualifiant de manifestations psychologiques.  

Le neurologue lui avait alors dit : « Il n’y a rien qui cloche chez toi. Retourne à la maison et apprends à prendre de grandes respirations quand ça t’arrive », avant d’ajouter à l’intention de sa mère, Tanya : « Ne gaspillez plus votre argent en appelant l’ambulance. » 

Cet événement a rajouté au désarroi de la famille Barnett. Après cinq ans à faire des examens, un diagnostic de syndrome du QT long (syndrome du QTL) posé dans un établissement médical rural – que les spécialistes des hôpitaux urbains ont rejeté – et plusieurs voyages en ambulance jusqu’à l’hôpital, les Barnett ne savaient plus à quel saint se vouer. 

« Jessica venait me voir et me disait : “Maman, mon cœur ne va pas bien, il ne se sent pas bien”, se souvient Tanya Barnett. Je ne savais plus quoi faire, nous avions passé tous les examens nécessaires. Je ne savais plus où aller. » 

Les évanouissements de Jessica avaient commencé à l’âge de 12 ans. Elle cessait de respirer et ses lèvres devenaient bleues. Des manifestations qui faisaient croire à des crises d’épilepsie. On lui avait alors prescrit des médicaments antiépileptiques. Sans le moindre résultat. 

Quelques années après les premières pertes de connaissance, la grand-mère de Jessica avait parlé à Tanya d’un article sur le syndrome du QT long. Celle-ci se souvient avoir senti les poils se dresser sur sa nuque. Elle a immédiatement su que c’était ce dont souffrait sa fille. 

« Le syndrome du QT long est une forme d’arythmie cardiaque. Normalement, le cerveau envoie un signal électrique au cœur. Mais dans le syndrome du QT long, ce signal est brouillé, il ordonne au cœur de s’arrêter et il celui-ci ne se réactive plus ensuite. Il faut procéder à une réanimation cardio-pulmonaire ou à une défibrillation. » 

Bien que Tanya Barnett ait sans cesse demandé aux neurologues d’Halifax de chercher les signes du syndrome du QT long, les examens effectués s’étaient toujours avérés négatifs. Un seul examen, réalisé dans une clinique rurale, a confirmé la présence du syndrome du QTL, mais ce résultat a été rejeté par les spécialistes de la ville. 

Les parents de Jessica se trouvaient à Toronto avec leur plus jeune fille pour assister à une compétition de gymnastique lorsqu’ils ont reçu un appel du copain de Jessica. Elle avait une autre crise. Très grave. Les ambulanciers paramédicaux essayaient de la réanimer. 

« Nous savions au fond de nous-mêmes qu’il s’agissait du syndrome du QT long. Nous avons su de quoi elle était morte avant même qu’on nous le dise », se souvient madame Barnett. 

Des tests génétiques réalisés après le décès de Jessica ont bel et bien révélé qu’elle souffrait de ce syndrome. Comme le syndrome du QT long est une maladie héréditaire, toute la famille a été dépistée à son tour et il s’est avéré que le père de Jessica en souffrait lui aussi, même s’il était asymptomatique. 

Malheureusement, cette confirmation arrivait trop tard pour Jessica. Un bon diagnostic, des médicaments et un défibrillateur auraient permis de lui sauver la vie. 

« Le syndrome du QT long et les syndromes d’arythmie ne sont pas rares, souligne Tanya Barnett. Nous avons demandé à revoir les médecins. Nous voulions qu’ils nous assurent qu’ils faisaient le nécessaire pour éviter que cela n’arrive à une autre famille. 

C’est de cette façon que nous avons pu donner un sens au décès de Jessica. Nous voulions faire partie d’un processus qui rendrait les soins de santé plus sécuritaires. Malheureusement, on ne nous l’a pas permis. » 

Les appels au directeur de l’hôpital pour solliciter une rencontre avec les médecins ont tous été refusés. Les Barnett ont eu l’impression que la seule façon d’obtenir les réponses qu’ils attendaient serait de poursuivre l’hôpital. 

En préparant la poursuite, Tanya Barnett a recoupé tous les dossiers médicaux de Jessica. Elle a découvert qu’un des résultats d’examen de sa fille n’avait jamais été vu par le cardiologue, bien que celui-ci ait affirmé qu’il les avait tous consultés et que ceux-ci étaient tous négatifs. Les résultats étaient restés dans le bureau du généraliste, parce que la politique de l’hôpital était de les envoyer uniquement au généraliste. Cette politique a été modifiée depuis. 

Madame Barnett a également découvert une étude qui montrait que, dans la majorité des cas, la plupart des médecins et cardiologues ne parviennent pas à poser correctement un diagnostic de syndrome du QT long à partir d’un ECG. L’étude concluait que, jusqu’à ce que les cardiologues reçoivent une nouvelle formation, seuls les électrophysiologistes, les spécialistes des problèmes électriques du cœur, devraient diagnostiquer le syndrome du QT long. Le rapport du médecin légiste a confirmé que les résultats d’examen de Jessica indiquaient la présence du syndrome du QT long. Cinq des sept résultats d’examen de la jeune femme avaient été mal interprétés. 

« Jessica est morte en raison de documents mal classés, de résultats d’examen mal interprétés et de l’indifférence générale », estime Tanya Barnett. 

Le procès, qui a duré deux ans, a été « un processus dégradant, démoralisant, décourageant et frustrant » qui s’est terminé par une entente hors cours avec l’Association canadienne de protection médicale (ACPM), qui défend les médecins. Madame Bartlett affirme que cela ne se produit que lorsqu’on reconnaît qu’il y a eu erreur médicale. 

Pendant le procès, l’avocat de l’ACPM a demandé le dossier scolaire de Jessica; selon l’avocat des Barnett, il s’agissait d’une tactique pour dépeindre Jessica comme une mauvaise élève, issue d’un foyer dysfonctionnel où elle ne recevait guère d’amour de ses parents. 

« Avec une telle défense, c’était comme dire que sa mort était sans importance, résume madame Barnett. Je ne crois pas que les médecins et les directeurs d’hôpitaux comprennent combien ces tactiques s’attaquent à des familles déjà très éprouvées. » 

Il aura fallu produire un document vidéo sur l’histoire de Jessica, puis s’adresser aux médias, pour que l’hôpital porte enfin attention à l’affaire. Le directeur de l’hôpital a finalement donné son accord pour qu’ait lieu la rencontre que demandaient les Barnett. C’était 18 mois après la fin du procès. Cinq ans après le décès de Jessica. 

Pendant cette rencontre, les Barnett ont découvert que les médecins ne savaient pas qu’on demandait à les rencontrer depuis toutes ces années. Ils n’en avaient jamais été avisés par la direction de l’hôpital. 

« Les médecins étaient renversés, se souvient Tanya Barnett. Ils se disaient que s’ils avaient pu parler avec nous, ce procès n’aurait peut-être jamais eu lieu. Et ils avaient raison. Tout ce que nous voulions, c’était d’avoir des réponses à nos questions et de savoir ce qu’ils faisaient des changements pour que cela ne se reproduise plus jamais. » 

Un des médecins s’est montré très ouvert, il a expliqué en détail les changements qu’il avait apportés à sa pratique après le décès de Jessica, comment il posait des diagnostics plus efficaces et pratiquait différemment. Madame Barnett lui a répondu que c’étaient là de très beaux cadeaux pour une famille en deuil. 

Tanya est aujourd’hui membre de Patients pour la sécurité des patients Canada. Ce programme de l’Institut canadien pour la sécurité des patients (maintenant Excellence en santé Canada) est dirigé par les patientes et patients eux-mêmes. Patients pour la sécurité des patients Canada fait en sorte que les institutions et les systèmes de santé tiennent compte du point de vue du patient ou de la patiente et de sa famille lorsque vient le temps de prendre des décisions et de planifier des initiatives en sécurité et en amélioration de la qualité. 

« Je suis devenue une médiatrice à cause du décès de Jessica, à cause du système judiciaire, à cause de notre cas. Je ne crois pas qu’un procès soit la procédure appropriée, bien que ce soit actuellement la seule option qui s’offre à nous. Je crois à une forme ou une autre de médiation, à une approche réparatrice des erreurs médicales qui serait beaucoup plus juste envers toutes les parties concernées, y compris les médecins. 

Je veux me concentrer sur les procédures qui suivent une erreur médicale, ajoute-t-elle. Pendant le procès, nous avons découvert qu’un des médecins avait des problèmes de santé mentale au moment de la mort de Jessica. Le système était frustrant. Les deux parties souffraient; elles auraient pu être soulagées et guéries si elles avaient pu se rencontrer. 

Des erreurs peuvent se produire. C’est ce que l’on fait avec ces erreurs qui est important pour rendre le système de santé plus sûr. » 

Tanya aimerait que les médecins écoutent vraiment les patientes, les patients et leurs proches. Elle en appelle à un système plus collaboratif et plus inclusif, qui pourrait redresser le déséquilibre actuel du pouvoir entre les patients et les patientes et leurs médecins. 

« Il faut que la situation change. C’est un changement de culture dans le domaine de la médecine. C’est un acte de foi de la part des médecins et cela exigera beaucoup de courage de la part du secteur de la santé. Mais je crois que l’effort en vaut la peine. » 

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