Des souffrances inutiles causées par un mauvais diagnostic

26 octobre, 2017

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Après trois ans de lutte contre une maladie apparemment invisible, qui avait réduit son existence à des douleurs et à une fatigue écrasantes, Daniel Chang-Bard n’avait tout simplement plus la force de se battre. 

Daniel s’est enlevé la vie le lundi 28 mai 2012, à l’âge de 21 ans. 

Eileen Chang a perdu son fils unique en raison d’une mystérieuse maladie que le monde médical n’a que récemment reconnue comme une condition médicale légitime. Elle savait qu’elle devait raconter son histoire – leur histoire – d’une vie soudainement bouleversée par une « maladie à grandes souffrances » et d’un système de santé qui paraît souvent mal préparé pour y faire face. 

Madame Chang, qui est coordonnatrice de la sécurité des patients et patientes dans un établissement de santé de Toronto, continue de s’inspirer des derniers mots prononcés par son fils, quelques instants avant sa mort. 

Ce soir-là, Daniel a téléphoné à sa mère depuis Montréal, où il préparait un voyage dans le nord des États-Unis avec sa tante pour chercher de nouveaux traitements. 

« Il m’a dit : “je t’appelle juste pour te dire au revoir”. J’ai pensé qu’il me disait cela parce qu’il partait en voyage aux États-Unis, se souvient madame Chang. Mais il a répété “je t’appelle pour te dire au revoir” et j’ai compris ce qui se passait. » 

Paniquée, madame Chang a crié à son conjoint de prendre l’autre téléphone pour parler à leur fils. Elle se souvient de ces secondes comme d’un cauchemar éveillé. Pendant tout ce temps, jusqu’à ce moment effroyable où la ligne a été coupée, elle entendait la voix de son fils qui l’implorait de continuer à lui parler. 

« Et c’est le message que je transmets aux gens, peu importe où je suis, et particulièrement dans le cadre de Patients pour la sécurité des patients du Canada : il faut continuer à en parler, dit madame Chang. Ce n’est pas tant l’histoire qui compte, mais les enseignements qu’on en tire. » 

Pendant sa jeunesse à Toronto, Daniel avait toujours été sportif et articulé, il aimait la musique et défendait toujours les plus faibles. 

« Au soccer, il a remporté le prix du meilleur esprit sportif quatre ou cinq fois. La troisième fois, j’étais allée voir l’arbitre pour lui dire : “Excusez-moi, mais je pense que vous devriez le donner à quelqu’un d’autre. Êtes-vous certain que c’est encore lui?” Il m’a répondu : “Oui”, en m’expliquant que si quelqu’un tombait sur le terrain ou que si quelqu’un était contrarié après un but marqué contre l’équipe, mon fils allait consoler cette personne. C’est le genre de personne que Daniel était. » 

Les ennuis de Daniel ont commencé vers la fin de ses études secondaires, lorsqu’il est tombé malade après un voyage de camping au parc Algonquin. Des tests avaient détecté un parasite de l’eau dans le système digestif de Daniel et on lui avait alors prescrit des antibiotiques. Avec le recul, et après avoir lu des ouvrages portant sur le diagnostic final de Daniel, madame Chang soupçonne que le parasite avait en quelque sorte compromis son système immunitaire. Daniel n’était tout simplement plus capable de combattre les microbes aussi bien qu’avant.  

Il a commencé à fréquenter l’université à Montréal, mais il a rapidement mentionné qu’il se sentait à nouveau mal. 

« Il m’a dit : “Maman, je ne peux même plus me rendre en classe sans m’arrêter un moment en chemin chez mon ami pour me reposer”, se souvient-elle. Puis il a commencé à parler de ses symptômes : un mal de gorge, les ganglions enflés et le sentiment d’avoir de la fièvre. » 

La sœur de madame Chang, qui habitait à Montréal, a pris Daniel sous son aile. Adepte de médecine naturopathique, elle l’a soigné avec du bouillon de poulet et du repos jusqu’à ce qu’il se remette et soit capable de terminer son année. Mais il a continué à se sentir mal et à souffrir de nausées. Il expliquait à sa mère qu’il avait l’impression d’avoir la grippe en permanence. 

Pendant sa première année d’études à McGill, Daniel avait prévu de voyager brièvement au Pérou avec sa copine pour faire du bénévolat dans un orphelinat. L’administration de divers vaccins était nécessaire pour ce voyage, dont certains vaccins vivants. Sa mère était inquiète à ce sujet, mais Daniel était déterminé. À contrecœur, sa mère a accepté. 

« Après avoir reçu les vaccins, son corps s’est littéralement effondré. C’est comme si quelqu’un était venu et était reparti avec toute son énergie. » 

L’infirmière de la clinique de voyage parlait d’un effet secondaire passager qui se dissiperait avec du repos, mais les symptômes ont empiré et plus Daniel bougeait, plus les symptômes s’amplifiaient. Maux de gorge, maux de tête et douleurs lancinantes. 

Daniel n’est jamais allé au Pérou. Au lieu de cela, sa mère et lui ont entamé une série de visites décevantes chez des professionnels de la santé, dont plusieurs doutaient de la gravité de son état. Il n’avait pas l’air malade. Cela devait être une phase de l’adolescence. Il était déprimé. Il avait juste besoin de sortir davantage. 

« Il souffrait d’une maladie invisible; de nombreuses maladies invisibles touchent les gens de nos jours, explique madame Chang. Il a été stéréotypé dès le départ. » 

Finalement, lorsqu’un test sanguin a révélé des niveaux d’immunoglobuline extrêmement bas, Daniel a été envoyé chez un spécialiste. C’est à ce moment-là que sa mère, en feuilletant distraitement une revue médicale dans la salle d’attente, a appris l’existence de l’Environmental Health Clinic dans la région de Toronto et découvert que de nombreuses personnes souffraient des mêmes symptômes débilitants que son fils. Après quelques efforts, elle a obtenu un rendez-vous pour son fils et, peu de temps après, un diagnostic. 

Daniel souffrait d’encéphalomyélite myalgique (EM), une maladie neurologique chronique qui touche près de 410 000 Canadiens et Canadiennes; un trouble grave caractérisé par une série de symptômes physiques évidents qui dévastent des vies. 

« Cette maladie est plus communément appelée syndrome de fatigue chronique, explique madame Chang. Mais ce terme ne lui rend pas justice, parce que les gens pensent que l’on est simplement fatigué en permanence. » 

En réalité, les personnes qui souffrent d’EM font plutôt état d’une fatigue extrême, de douleurs articulaires, de problèmes d’estomac, de maux de tête et de troubles de la mémoire. Les symptômes s’aggravent souvent progressivement et peuvent amener les personnes concernées à renoncer à leur emploi ou à leurs études, et dans les cas extrêmes, à rester à la maison. Il n’existe aucun médicament pour traiter spécifiquement le syndrome de fatigue chronique, mais des médicaments, notamment des analgésiques et des antidépresseurs, peuvent être prescrits pour soulager les symptômes. C’est une maladie encore mal comprise, ce qui conduit certains professionnels de la santé à l’écarter. 

Daniel était tellement frustré par le paternalisme et le scepticisme qu’il rencontrait régulièrement au cours de son odyssée de traitement qu’il a décidé de faire quelque chose pour éduquer les professionnels de la santé. Il a donc publié quatre vidéos YouTube relatant ses expériences avec l’EM, son étonnement face à ce monde inconnu qu’est la maladie chronique et sa conviction que l’ignorance au sujet de l’EM s’autoperpétue – notamment parce que si peu de gens connaissent la maladie, parce que la plupart de ses victimes, malheureuses et atterrées, s’isolent du reste du monde. 

Grâce à ses propres recherches et interactions avec d’autres personnes souffrant d’EM, Daniel a constaté à quel point les cas d’EM pouvaient se terminer de façon terrible – certaines personnes étant réduites à un silence insensible, seules dans une pièce sombre, les yeux bandés et branchés à des appareils de survie. Il avait alors déclaré à sa mère qu’il ne voudrait jamais finir ainsi. 

Pendant un certain temps, l’état de Daniel s’était un peu amélioré. En 2011, il réussissait bien à l’université, équilibrant soigneusement ses réserves d’énergie tout en maîtrisant les pires symptômes. Mais la douleur est revenue, si accablante qu’il ne pouvait plus sortir du lit le matin. C’est à ce moment-là que sa santé mentale a commencé à se détériorer. Il s’est retrouvé dans un service d’urgence. On l’a alors orienté vers plusieurs centres de crise. On lui a également prescrit un puissant opioïde pour soulager la douleur, qu’il a éventuellement décidé de ne pas prendre puisque cela n’aidait pas la gestion de sa douleur. Daniel connaissait aussi les possibles dangers associés aux opioïdes. 

Pendant ce temps, madame Chang et sa famille cherchaient désespérément des traitements et des thérapies alternatives pouvant soulager Daniel et renforcer son système immunitaire. Mais en ce jour de printemps 2012, Daniel était arrivé au bout de son parcours. Il avait mené un combat courageux pendant trois ans et, selon sa mère, il n’en pouvait plus. Il ne pouvait tout simplement plus supporter cette douleur atroce. 

Madame Chang dit s’être jointe à Patients pour la sécurité des patients du Canada pour aider les personnes vulnérables, surtout les individus aux prises avec des maladies chroniques comme celle de son fils, et pour souligner la nécessité d’une communication ouverte et de compassion entre les prestataires de soins de santé et les malades et leurs familles. 

« Les patients et leurs familles savent souvent ce qui est le mieux pour eux. Ainsi, lorsque nous voulons participer et aider, ce n’est pas nécessairement parce qu’on se dit “voilà la solution, donnez-nous le traitement”. Nous essayons simplement d’aider », dit-elle. 

« Mon fils s’exprimait très clairement, mais il y a beaucoup de gens dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Il y a aussi la population pédiatrique. Il y a tous ceux et celles qui n’ont pas la chance que j’ai d’être au Canada et d’avoir accès aux soins et aux spécialistes que nous avons. Et puis il y a les gens âgés. » 

Tout au long de sa maladie, Daniel a toujours tenu à faire partie de la campagne de sensibilisation à l’EM au Canada. Sa mère concrétise cette ambition chaque fois qu’elle raconte la triste histoire de Daniel.

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