Le taux de délirium chez les patients pédiatriques ressemble à celui que l'on retrouve chez les patients adultes, puisque près de 25 % des patients pédiatriques vivent un épisode de délire au cours de leur séjour aux soins intensifs. Puisque les patients pédiatriques sont souvent sous sédation beaucoup plus profonde, le taux réel de délirium pourrait être élevé.
L'an dernier, 10 équipes de soins pédiatriques et 31 équipes de soins intensifs pour adultes des USI de partout au pays ont participé à une initiative nationale afin d'en apprendre davantage sur la douleur, l'agitation et le délire. Le programme
DAD aux soins intensifs a été conçu et livré par la Coalition canadienne des soins intensifs et appuyé par l'Institut canadien pour la sécurité des patients. Cette initiative a aidé les participants à améliorer les soins du patient aux soins intensifs grâce à la mise en œuvre de stratégies normalisées de dépistage, de gestion et de prévention du délirium.
Lorsque le Dr Paul Doughty a accepté un poste à l'Hôpital pour enfants de l'Alberta situé à Calgary, il a observé que les patients étaient souvent dans un état de délire et sous l'effet de plusieurs médicaments en vue d'atteindre des niveaux appropriés de sédation. Il tenait beaucoup à utiliser son savoir-faire en physiothérapie pour mobiliser les patients pédiatriques de l'USI. Il a rapidement réalisé, cependant, qu'il serait impossible pour certains de ses patients de participer à une réadaptation sérieuse, puisqu'ils étaient endormis trop profondément pour être enclins à participer. En général, les patients passaient plus de temps sous ventilation assistée et ne participaient pas au travail de réadaptation autant qu'ils l'auraient pu.
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Wendy Bissett et le Dr Paul Doughty |
« À l'époque, il n'existait aucun outil spécifique aux soins pédiatriques pour véritablement mesurer la présence ou l'absence de délirium », nous dit le Dr Doughty. « Quelques champions de l'unité avaient reconnu qu'il y avait un problème, et quand nous avons entendu parler de l'initiative nationale
DAD (douleur, agitation et délire) aux soins intensifs, le moment était idéal, puisque nous commencions tout juste à essayer de promouvoir le changement », précise le Dr Doughty. « Si nous voulions réussir à réadapter plus de patients de l'unité, nous devions d'abord nous assurer qu'ils soient plus réveillés. »
L'équipe DAD de l'Hôpital pour enfants de l'Alberta comprenait le Dr Doughty, l'infirmière praticienne Laurie Lee et l'infirmière enseignante Wendy Bissett. L'équipe s'est élargie depuis et comprend maintenant un orthophoniste, qui aide les patients pédiatriques intubés à mieux communiquer avec les personnes soignantes à l'aide d'outils de communication; des inhalothérapeutes; des représentants de la pharmacie et de la réadaptation; et un plus grand nombre de membres du personnel infirmier qui agissent tous à titre de champions au sein de l'unité. L'équipe est vraiment fière de ce qu'elle a réussi à accomplir jusqu'à maintenant et prévoit mettre en place certaines autres initiatives dans le cadre de son plan de mise en œuvre en trois étapes.
D'abord, il fallait mettre en place un outil de calcul objectif pour mieux déterminer si le patient ressentait de la douleur ou était en proie à une agitation ou au délire. Auparavant, si un patient semblait instable, il recevait une multitude de médicaments, dont des agents analgésiques ou sédatifs et, parfois, des relaxants musculaires pour le calmer quand il était sous assistance respiratoire. « Il s'agissait davantage d'une approche massive plutôt que ciblée », nous explique le Dr Doughty. « En se servant d'un outil de calcul, nous pouvons mieux cibler maintenant les besoins de nos patients, au lieu d'utiliser de fortes doses ou des médicaments coûteux pour calmer l'agitation ou la douleur d'un patient. »
En second lieu, nous devions fournir un outil de calcul au personnel infirmier appelé au chevet des patients, qui faisait la plus grande partie du travail en termes d'engagement et d'évaluation. « Notre programme n'aurait pas réussi si ce n'avait été de la volonté des infirmières soignantes de participer réellement au programme, d'évaluer les patients et de consentir à essayer avec nous de minimiser les DAD », ajoute le Dr Doughty. « Nos infirmières et nos infirmiers ont réalisé qu'ils avaient la chance de faire preuve de leadership. C'est vraiment le travail d'équipe qui a permis d'élaborer un programme plus performant et efficace. »
Troisièmement, il fallait intégrer l'outil de calcul au dossier médical électronique (DME) du patient pour que tout puisse être enregistré à son chevet. Les données tirées du DME fournissent une analyse prospective qui permet de voir comment l'unité performe en termes d'optimisation de la douleur, de l'agitation et du délire.
L'équipe examine maintenant un plan de réadaptation précoce qui serait associé à un plan d'essai de préparation à l'extubation. « Grâce à une plus grande participation des inhalothérapeutes, nous serons en mesure de maintenir davantage nos patients en état d'éveil, de les évaluer objectivement pour pouvoir les extuber plus rapidement et les faire participer à nos stratégies de réadaptation précoce, qui ont entraîné des baisses significatives des taux de délirium chez les adultes et qui devraient être aussi efficaces chez nos patients pédiatriques », nous dit le Dr Doughty.
L'Hôpital pour enfants de l'Alberta implique à la fois les familles et les personnes soignantes dans le plan de soins du patient. Puisque le manque de sommeil contribue largement à l'apparition du délire, un nouveau programme d'hygiène du sommeil a été mis en œuvre chez les patients pédiatriques des USI. « Nous avons créé un nouveau programme où le patient possède un journal qui décrit ses activités journalières habituelles, que nous essayons de reproduire du mieux possible dans les limites du cadre des USI », explique le Dr Doughty. Nous essayons de favoriser une meilleure hygiène du sommeil afin de réduire le taux de délirium parmi nos patients. »
La gestion des DAD a également été incorporée à la brochure de renseignements de l'hôpital conçue pour les familles admises aux USI. Un grand tableau de communication est placé dans la chambre du patient pour la famille, et les objectifs relatifs aux DAD y sont inscrits quotidiennement pour s'assurer que les familles les connaissent.
« Les membres des familles ont beaucoup de questions à poser, particulièrement quand un jeune patient sous ventilateur se réveille et semble perturbé », nous dit le Dr Doughty. « La première question qu'ils se posent, c'est : est-ce que mon enfant est confortable ? Notre but est d'assurer le confort et la sécurité des patients pédiatriques, tout en minimisant le risque de délirium et en maximisant l'engagement de la famille en matière de prévention du délirium. »
Au cours de l'initiative nationale
DAD aux soins intensifs, les intervenants ont appris à faire participer les familles à la gestion du délire des patients. « L'un des principaux facteurs aidant à réduire la douleur, l'agitation et le délire aux USI est la reconnaissance de l'importance des patients et de leur famille comme partie intégrante de l'équipe de soins », nous dit Leanne Couves d'Improvement Associates. « L'élaboration de mécanismes qui permettent une communication bidirectionnelle efficace, comme les discussions sur les DAD dans les réunions avec les familles et l'inclusion des membres des familles dans les séances multidisciplinaires, peut aider les membres des familles à reconnaître les symptômes des DAD chez leurs proches et à pouvoir ainsi contribuer à leurs soins. »